lundi 21 février 2011

Des jeux de rôle pas comme les autres : Dogs In The Vineyard

Où vous jouez des cow-boys mormons dans un far-west qui n'a jamais existé. Dit comme ça, c'est du lourd, mais je vous rassure : c'est moins crétin que ça n'en a l'air.

Imaginez le désert américain, quelques pâturages, et des petites agglomérations qui ressemblent étrangement à Walnut Cove, le village de la famille Ingalls. Tout le monde est gentil, tout le monde est propre et tout le monde est Mormon. Le pasteur veille sur les chefs de famille, ceux-ci veillent sur les membres adultes de la familles, qui à leur tour veillent sur les enfants et les seniors, et tout le monde s'entraide dans la grâce de Dieu.



En apparence tout du moins. Parce qu'à coup sûr, il y a une rancoeur cachée qui ne demande qu'à éclater au grand jour et à corrompre tout le village. Et c'est très grave. Si la foi du village vacille, les Démons arrivent : les récoltes flétrissent, les chacals hantent les environs, les outils de la ferme cassent... puis les gens commencent à pécher, à renier leur foi, à former une secte et à tuer des gens.

Vous jouez les Chiens de Garde de Dieu. Vous passez de village en village pour distribuer le courrier, prêcher la bonne parole, bénir les bébés, les cultures et les mariages et aider le village tout entier à rester dans la foi.

Vous avez du boulot.

A la lecture
Ce jeu est superbement écrit. Ce sont les petits détails qui font la différence. Par exemple : les pronoms. Dans ce jeu, quand le texte dit "Je" il parle toujours en tant que meneur de jeu, quand il utilise "Vous" c'est toujours pour parler aux joueurs et quand il parle à la troisième personne, c'est toujours pour parler des personnages. C'est magistral, on ne s'y perd jamais et on pourrait pourtant ne pas le voir (alors que c'est précisé en toutes lettres dans l'introduction).

Bourré d'exemples, d'idées de mise en scène et de conseils de maîtrise, le jeu sait qu'il n'est pas comme les autres et fait un effort certain pour se faire comprendre. Il vous prend vraiment par la main et est également une bénédiction pour le meneur feignasse, puisqu'il donne des outils simples et efficaces qui vous crée un village garni de gros problèmes insolubles et de PNJ hargneux en une demi-heure de préparation.

Le contexte du jeu reste ouvert et à la merci des envies des joueurs : les descriptions sont vagues mais évocatrices, le fonctionnement de l'ordre est clairement décrit mais laisse plein de latitude pour ajouter vos détails à vous et la présence du surnaturel est laissé à l'appréciation de la tablée, de "les démons sont ambigus, on ne sait jamais s'ils sont vrais ou pas" à "les yeux rougeoient et on vomit des flammes".

Les règles sont à la fois complexes et très simples : on ne jette les dés que pour un conflit contre quelqu'un d'autre. Celui-ci a des enjeux clairs qui modifieront à tous les coups la fiche de perso des participants. Il peut être verbal, physique, aux poings ou aux flingues et il peut même changer de type au cours du déroulement. C'est la seule règle de résolution du jeu, mais elle est pleine de subtilités.

Ca se passe comme ça : on jette plein de dés de pleins de formes différentes avant de commencer le combat et, chacun son tour, on va dépenser des dés déjà jetés pour porter des coups (des arguments, des bousculades...). Au cours du conflit, quand on tombe à court de dés, on peut soit baisser les bras, soit "escalader" le conflit vers un autre type (e.g. "je suis à bout d'argument, je lui mets donc mon poing dans la face"). A la fin, le type de conflit décide de la gravité des conséquences (de "a ses convictions chamboulées" à "en train de crever les tripes à l'air"). C'est plein de petites subtilités pour les joueurs plus tactiques mais ça reste toujours narratif.

Autour d'une table
Ca marche du feu de dieu. Ca demande au MJ un petit travail d'adaptation, notamment dans la façon de présenter les intrigues. Pour citer le créateur du jeu :

"Mes PJs arrivent en ville. J'ai quelqu'un qui vient leur parler. Ils demandent si tout se passe bien. Le quelqu'un dit que, en gros, tout se passe bien. Les PJs demandent "en gros ?" et je suis tout "oh oh, ils vont se rendre compte que quelque chose tourne pas rond dans ce village. Vite, bluffons et restons impassible."


Et puis je suis tout "une minute. Je veux qu'ils captent que la ville tourne pas rond. En fait, je veux leur montrer en quoi la ville tourne pas rond. Sinon, ils vont se perdre dans le village en attendant que je lâche un indice, je vais continuer à bluffer et tout le monde va s'emmerder ferme toute la soirée".


Donc, au lieu de répondre "oh non, je voulais dire que tout va bien et je vais vous laisser maintenant", le PNJ lance sa tirade : "Tout va très mal ! Cette personne couche avec cette autre personne et pas avec moi, ils ont assassiné l'instituteur et le sang coule des murs de la salle communale tous les soirs !" Et après ça, la partie va quelque part." 

Dans les faits, comment fonctionnent les règles de conflit ? Eh bien, elles marchent comme un indicateur de ce que les joueurs trouvent intéressant. Les règles de conflit ne disent pas qui est le dernier à rester en vie : elles disent qui a raison. Si ils se contrefoutent de l'enjeu du conflit, ils vont le laisser passer et voilà. Si par contre ils ont envie d'avoir raison, ils vont utiliser plein de traits, lancer plein de dés, escalader le conflit sans arrêt, prendre des risques, changer leur personnage pour gagner et au final, les règles assurent qu'on passera plus de temps sur un conflit qui bottent les joueurs plutôt que sur une bagarre de bar dont tout le monde se contrefout.

Si on ajoute qu'une joute, même verbale, laisse toujours des traces mécaniques sous la forme d'un nouveau trait, on construit peu à peu un récit qui touche chaque personnage profondément, qui le change. Les Chiens qui quittent la ville ne sont jamais vraiment les mêmes que ceux qui sont arrivé. Si on ajoute que les conséquences s'accumulent et rendent les conflits de plus en plus sales et lourds de conséquences, on a un vrai western métaphysique comme Unforgiven, True Grit ou The Proposition qui se tisse tout seul autour de la table.

La seule chose qui manque un peu, c'est une condition de fin de partie claire. Si le meneur est un fils de pute, il peut limite s'arranger pour que l'histoire du jour se finisse à coup sûr dans le sang et les larmes. Mais quelque part, c'est plus une feature qu'un bug.

Dogs in the Vineyard est disponible en anglais chez Lumpley Games.

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