mercredi 9 septembre 2009

Gâcher son plaisir

J'aime parler cinéma, ce n'est pas spécialement un secret. Etant un dangereux vicelard, je prends un plaisir certain à disséquer les films et à voir comment ce qu'on ressent devant est provoqué par le film lui-même : les images, les dialogues, la structure et ce genre de choses. Surinterpréter un film est une autre de mes étranges déviances : je trouve amusant de changer de grille de lecture sur un même film et de le voir me dire des choses vachement différentes d'une vision à l'autre.

Quand j'ai le malheur de le dire à des gens qui ne partagent pas mon vice, j'ai droit à cette phrase qui, avec le temps, me pête de plus en plus les glandes:

"Pourquoi tu as besoin d'aller chercher aussi loin? Tu ne profites plus du film."



C'est assez gonflant pour trois raisons:

• La première, et non des moindres, c'est qu'on ne me demande pas mon avis, et qu'on ne me pose pas la question. Non. C'est évident que je ne profite plus du film. Sous-entendu : je pourrais dire le contraire, expliquer pourquoi et danser sur ma tête, je me mettrais le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Non, je ne profite plus du film. Parce que. Point final. Merci de m'expliquer ce qui se passe dans ma tête, après tout, vous savez ça mieux que moi.

• La deuxième, tout aussi bourrante, c'est cette idée que le plaisir direct à la vision d'un film est antithétique de la compréhension de l'objet. En gros : c'est analyser ou prendre du plaisir, pas les deux. Ben tiens. En fait, maintenant que j'y repense, c'est logique : quand on comprend quelque chose, on n'y prend plus de plaisir. C'est assez connu : les musiciens sont complètement frigides à la musique puisqu'ils comprennent les tempos, les gammes et les structures musicales, tout comme un peintre est incapable d'apprécier un tableau dès qu'il a appris la composition, les équilibres de couleurs et la perspective. Pareillement, l'héliocentrisme a tué la beauté de la voûte céleste et la biologie sacrifie la poésie divine de la Nature-avec-un-grand-N sur l'autel froid et inutile de la science. L'esprit d'analyse, ce grand fléau de l'époque moderne.

• La troisième, sous-jacente aux deux premières, c'est qu'on dissocie plaisir et analyse. Comme si l'analyse n'était pas un plaisir. Comme si découvrir comment un réalisateur rend Conan le barbare majestueux avec un mouvement de caméra, ou comment la composition d'un plan peut provoquer l'angoisse, ou comment le montage peut vous montrer des choses qui n'apparaissent pas à l'image n'était pas source de satisfaction en soi.

Analyser et interpréter un film ne remplace pas le plaisir de voir le film. C'est une valeur ajoutée, un bonheur supplémentaire. Croyez-moi, je suis capable d'aimer un film avec mes tripes, et toutes les richesses d'interprétation du monde ne me feront pas aimer un film qui ne me plaît pas. Si si, croyez-moi. Vous pensez vraiment que je me rematte Piège de Cristal une fois l'an pour me branler devant les mouvements de caméra non-motivés? Oui, aussi, mais ça ne m'empêche pas de sautiller sur mon divan comme un gamin attardé à chaque fois que John McClane fait péter un truc en débardeur sale. Et si ça, c'est pas vivre le film au premier degré, je sais pas ce qu'il vous faut. La valeur ajoutée, c'est que, quand on me demandera pourquoi c'est bien, je pourrai faire autre chose qu'imiter des bruits d'explosion avec ma bouche.

12 commentaires:

David in Setouchi a dit…

Que dire sinon que ce sont des mécréants?

Ce genre de réaction est à mon avis systématique du nivellement par le bas que connaissent nos sociétés...

Le Responsable a dit…

Je lisais un libel datant au moins de l'époque victorienne. Il expliquait que l'opéra était une sous-culture inutile, et que la vision wagnérienne de la chose était de la merde en branche qui donnait le spectacle prémâché au public qui stagnait dans sa fange. Je suis sûr que je peux trouver le même argument sur la comédie greque écrit par Plutarque (parce que c'est bien son genre à ce triste con). Même le père d'Abram (celui de la bible) lui disait que lire pourissait le cerveau. En gros, la société nivelle par le bas depuis qu'on sait écrire, et pourtant, on tient toujours debout.

La question c'est : d'où vient ce réflexe. Je pense que c'est de la paresse, pure et simple. En expliquant aux autres qu'il ne faut pas réfléchir pendant ses loisirs, on s'octroie le droit de ne pas le faire non plus.

Raf a dit…

Faisant partie des mécréants :

1° je me permet de répondre que oui, je sais que toi tu prends ton pieds à la décortication. Et que j'ai jamais prétendu l'inverse

2° Que ouaip y'a des films, des musiques, etc... Qui doivent être décryptés genre au hasard: Inglorious Bastard et Bach. Cependant, m'extasier devant le mouvement de caméra de "Piège de cristal" aussi bien soit-il et aussi techniquement réussit soit-il, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre... Un peu comme si on décryptait du Ministry avec une grille analytique, machin tout ça... Oui, on peut si on est un dangereux psychopathe (humour hein) Mais perso Ministry j'écoute ça pour faire du nettoyage d'oreille et j'ai jamais pensé à le passer sur grille de décryptage

3° Que oui, pendant que j'écoute du Ministry, si je me met à me branlotter le cerveau, bein je perd le plaisir que j'ai à écouter du Ministry... A savoir Nettoyer ma tête des pollutions à coups de marteaux piqueurs.

4° oui je parle de musique parce que le cinéma, j'y connais peau de balle, en dehors des cours magistraux que mon Gregou d'amour me file (merci d'ailleurs, je me sens un peu moins con dans ce domaine grâce à toi)

5° T'es juste un vilain de mettre tous les mécréants dans le même panier

6° Je sais que le 5° va me donner un truc du genre "bah oui, mais tu comprends, je pouvais pas spécifier chaque individu personnellement, il a fallut que je donne une vue d'ensemble de la chose" Bein je dis les autres ils ont fait pareil dans l'autre sens NA

7° si tu as jeté un oeil a ceci, jette le reste aussi

Bise mon lapin

David in Setouchi a dit…

Responsable, là tu me parles de l'attitude conservatrice qu'on eut les critiques d'art (et plus généralement de culture) envers les choses nouvelles.
Je n'appelle pas ça du nivellement par le bas, juste du conservatisme.

Perso, je parle du fait que de nos jours, on (les consommateurs de culture plus que les producteurs) vise toujours plus bas.
Peut-être que ça va et ça vient d'une époque à l'autre. Mais il n'y a encore pas si longtemps, quand on manquait de culture et/ou ne comprenait pas un truc culturel, on fermait d'abord sa gueule de honte, et ensuite on allait se cultiver et "se rattraper" dans son coin en cachette...
Aujourd'hui, quand on ne connaît pas, ne comprend pas, on balance ça d'un revers de la main en disant que c'est pour les intellos, on te dit que tu ne profites plus du film (parce qu'on est même plus capable de concevoir qu'on puisse apprécier faire un effort intellectuel) et ce genre de choses.

Avant on avait Derrida et les Dossiers de l'Ecran, maintenant on a BHL et Secret Story... (parce qu'une époque à les références culturelles qu'elle mérite)

Le Responsable a dit…

Oui-donc, je précise sur le coup que la deuxième réponse (la mienne, en l'occurence) était à prendre sur le ton de l'ironie. Parce qu'en fait, je ne pense pas que les arts narratifs (peut-être les autres, mais là je sais plus ou moins de quoi je parle) régressent ou nivellent par le bas, parce que je pense que c'est structurellement pas possible. Mais c'est un autre débat.

Non, ce que je veux dire ici, c'est qu'à travers le post original, je cherche à tordre le coup à cette idée stupide qu'analyser prive du plaisir. Je n'ai rien contre les gens qui le pensent.

D'où viennent les opinions? On sait pas, mais on sait, merci la psychologie sociologique, qu'il se passe un truc marrant quand on te demande ton opinion : même quand t'en as pas, tu t'en forges une. Et ce, même si tu penses que non : même si ta réponse c'est "je m'en fous", tu as malgré tout mis en branle des trucs dans ta tête qui font faire que la prochaine fois qu'on te demandera ton opinion, tu en auras certainement une.

Ces opinions-réflexes, ça me fascine. Parce qu'une opinion, ça vient essentiellement du contexte dans lequel on te la pose, et de tes expériences à toi à qui on les demande. C'est donc 100% subjectif et personnel. Ca ne vient absolument pas d'une exploration consciencieuse du monde réel, celui qui se conjugue à cinq miyards d'humains et qui est vaste, divers, varié.

Et pourtant, une opinion, c'est par réflexe et en langue française formulée à 83% des cas comme une généralité. Ce que ce n'est pas, et ce que ça ne saurait pas être. Pire : certains psychologues et linguistes pensent que la façon dont on s'exprime sert de base à la pensée, et pas l'inverse (les curieux googleront "hypothèse Sapir-Whorf"). Cette opinion, on la prend pour une généralité.

La plupart des opinions sont fondées et, oui, peuvent servir de généralités. Mais pas toutes. Et malheureusement, pas celle-là. La question est : pourquoi est-ce qu'on la forme par rélexe, et pourquoi.

Le Responsable a dit…

Or donc, dans le présent post, je ne m'attaque pas à des gens. Je m'attaque à des idées. Vous avez tous le droit inaliénable d'avoir cette opinion et, franchement, je ferai tout pour que vous puissiez l'exprimez, vous tous qui le pensez. Mais j'ai également le droit de ne pas l'accepter, et d'exposer pourquoi. Ca ne fait pas de ceux qui le pensent des untermenschen et de moi un titan qui toise le public bêlant de son regard clair, pensant en lui-même : "courez, phillistins, voir College Rock Star* ; moi, de mon piedéstal, je contemple un univers que vous ne soupçonnez pas " avant de porter sa main crispée vers le ciel en poussant un grand rire sardonique.

Non, face à une oeuvre artistique, je pense que chacun a le droit d'avoir sa réaction, son opinion et son analyse, aussi courte et superficielle soit-elle, même si elle se résume à "c'est tout pourri" (même si je préfère "je trouve ça à chier" comme formulation mais c'est un autre débat) et elle n'en n'est pas moins valable que n'importe quelle autre, pas même celle de l'auteur.

Ce que je propose, c'est de réévaluer cette opinion. Et parce que l'idée me casse les couilles, bah, autant le faire sous la forme d'un libel.

Ce qui m'hallucine, par contre, c'est que cette opinion ressorte face à quelque chose - les films - qui sont considérés depuis des éons comme des sujets d'analyse évidents, sous-entendant que ceux qui se livrent à ce plaisir sont des gros frigides. Alors que non.

A côté de ça, LE spectacle local le plus répandu, dont le public est le premier à dire qu'il s'agit d'un défouloir direct et viril et - de façon coincidental - peut-être le premier à me faire la remarque que "je me gâche le film à l'analyser", est, lui, sujet d'analyses poussées tant par le public que la presse spécialisée. I.E. le football, et le sport télévisuel de haut niveau en général.

Je termine en disant que je kiffe Ministry, et que je kiffe aussi de savoir pourquoi je kiffe Ministry. Ce qui fait de moi un terrible maniaque, mais j'assume.

*qui n'est pas si mal, toutes choses considérées.

Le Responsable a dit…

Ah oui et parce que a) mon Raphounet d'amour tape sur Die Hard et je ne peux pas laisser passer ça et b) parce que j'ai pas encore assez tartiné du texte aujourd'hui (hum) :

Les mouvements de cam' de Die Hard (entre autres, hein : toute la réal', en gros) sont importants parce qu'ils symbolisent le lien entre l'exécution technique et l'intention de l'auteur, deux éléments qui ne fonctionnent pas l'un sans l'autre.

Die Hard est un succès parce qu'il est AMHA techniquement parfait (toutes les techniques : de l'écriture au découpage en passant par le ton, etc. ). De par son succès, son style visuel et cinématographique a été copié pendant plus de vingt ans, quasi plan par plan parfois, et pourtant jamais l'efficacité des techniques narratives et cinématographiques employées n'a su égaler le film originel à mes yeux.

Pourquoi? Mon avis, c'est : parce que les techniques suivaient une histoire forte, avec un thème fort. C'est l'histoire d'un couple qui foire parce que monsieur doit tout diriger. Et c'est en apprenant la valeur du désordre, de la passivité et du lâcher-prise (le nombre de fois où McClane tombe est hallucinant) face à un tyran du contrôle que monsieur le comprendra, et arrivera peut-être à sauver son couple. Et à travers cette grille de lecture, le moindre plan, le moindre dialogue et la moindre situation font sens.

Privé de ce contexte, reprendre les mêmes plans et le même découpage, ça marche quand même, mais c'est vachement moins bien.

Merci, bonsoir.

Raf a dit…

Je m'inscrit en faux! je tape pas sur Die Hard que j'ai encore re-regardé y'a pas longtemps et que je trouve excellent. J'en ai juste rien à tuuuuuter que le jeu de caméra soit fantastique et que macLaine soit toujours de traviole pendant que le grand méchant lui est cadré nickel.
Je doute pas un seul instant que le fait qu'on ait cadré comme ci plutôt que comme ça, soit la cause de ma jubilation quand MacLaine pète la gueule à un vilain, juste j'en ai rien à battre et je prends mon pied.

Sauf que depuis qu'un certain Greg m'en a parlé, vlà ti pas que je regarde le cadrage au lieu de voir le poing qui s'écrase sur la vilaine tête du méchant. Ce qui m'apporte un plaisir non dissimulé parce qu'au fond, bien que je refuse de l'admettre trop ouvertement (voir les deux premiers paragraphes) je suis aussi un psychopathe et que découvrir ce genre de choses m'en colle une demi-molle, mais qui m'empêche de regarder le truc bêtement après ma dure journée de labeur et de savourer sans réfléchir, comme un bon citoyen qui se respecte, un plaisirs sain en portant des porte-jartelles (oui, noires Greg) et en activant maximum 2 neurones pour pouvoir regarder MacLaine taper et se vautrer(un neurone) en bouffant des chips (2 neurones).

NON, de TA faute, oui TOI là qui me lit avec un sourire idiot au lèvre après ces aveux honteux, me voilà obligé lorsque je regarde un film de baston de me demander si ils ont employé la même astuce de traveling pour présenter la scène où l'action à lieu... De vérifier si oui ou non, un cadrage particulier est utilisé pour le héros? pour le gros vilain pas beau?

ET C'EST TOUT TA FAUTE, ET UN JOUR JE ME VENGERAI ET MA VENGEANCE SERA TERRIBLE.

Je pense pirater ton armée de robots et la retourner contre toi mouahahahahahaha

David in Setouchi a dit…

Tiens, je sors de mon deuxième visionnage d'Inglourious Basterds, et comme je le suspectais au sortir du premier visionnage, la deuxième fois était nettement meilleure...

Meilleure et plus jouissive car débarrassée de tous les éléments de surprises et autres trucs similaires qui ont parfois tendance à parasiter la lecture et donc l'appréciation pleine d'une telle œuvre.

Je me suis même surpris à avoir une idée de sujet de thèse en plein milieu du film.

Le Responsable a dit…

"Meilleure et plus jouissive car débarrassée de tous les éléments de surprises et autres trucs similaires qui ont parfois tendance à parasiter la lecture et donc l'appréciation pleine d'une telle œuvre."

o_O

Alors là, c'est assez marrant. Parce que c'est justement le genre de truc qui a) me plaisent et b) font partie des mécanismes qui provoquent l'effet du film. Et donc sont la base même de mon appréciation pleine de l'oeuvre que moi j'ai.

Le Responsable a dit…

RAF : Mouahahaha. *lève une main crispée vers le ciel*

David in Setouchi a dit…

Attention, je ne dis pas que c'est le cas de tous les films.

Mais dans celui-ci, je sais qu'au premier visionnage les méandres de l'intrigue ont un peu parasité mon analyse du film, ils m'ont fait manquer tout un tas de détails (les double sens de certaines phrases, ce genre de choses) que je suspectais d'être présents et que je pus reconnaître et pleinement apprécier au deuxième visionnage.