mardi 10 mars 2009

5 POINTS FORTS DE WATCHMEN, LE LIVRE - SECONDE LIVRAISON

2. Le récit est d'une subtilité incroyable
Watchmen ne parle pas de demi-dieux - à part peut-être Jon - mais de gens, et le portrait qu'il en fait est fin, très fin. La caractérisation est subtile, et le récit appuie diverses interprétations, notamment en montrant les conséquences indirectes du comportement des héros. Et ça, ce n'est qu'en parlant des personnages.


Les effets et la narration passent régulièrement sous le radar du lecteur, par exemple ces références internes comme le camion de la Pyramid Delivery qui passe à la première page ou le nom de la compagnie de serrurerie - Gordian Knot; ou externes, comme cet épisode de Au Delà Du Réel passant à la télé qui, pour ceux qui l'ont vu, peut rappeler un certain point de l'intrigue.



Cette subtilité ne sert pas à s'aliéner un public 'trop con pour comprendre", mais permet de surcharger le livre en éléments sensés sans noyer le lecteur sous la masse. Ainsi, la plupart des effets de ce genre seront presque subliminaux, et une relecture permettra au public de repérer de plus en plus de ces détails.

Un exemple concret: les entretiens entre Rorschach et le psychologue carcéral. Non seulement nous, lecteurs, avons droit à une scène qui permet à Rorschach de parler directement de lui, de son caractère, de ses doutes et ses aspirations, mais on également lire en filigranes d'autres aspects du personnages dans ses expressions, ses décisions, ses hésitations.

Moore pourrait s'arrêter là, mais il ajoute au caddie un examen crédible où ni le docteur, ni le patient ne savent où il mène, bien qu'ils soient tous deux persuadés de dominer l'autre. Il va encore plus loin en laissant le lecteur deviner qui est le psychologue, à travers ses scènes de vie hors de la prison, et s'offre le luxe de faire évoluer ce personnage secondaire, qui disparaît à la fin du chapitre pour ne réapparaître que brièvement à la fin du volume, comme si le récit en dépendait. Et, d'une certaine façon, le récit en dépend.

Tout ça avec un naturel désarmant, tant dans le choix des mots et des expressions que dans les cadrages ou les transitions de cases en cases.

Ce que Snyder a raté: c'est moins une erreur qu'un choix stylistique, je suppose, mais Snyder est aussi subtil qu'un rhinocéros dans une convention Mon Petit Poney. Le dialogue en question est vite expédié, Snyder préférant consacrer une longue séquence à regarder le Hibou et le Spectre tabasser des prisonniers (une seule case dans le livre), ou passer deux bonnes minutes sur une scène de sexe explicite que Moore avait expédié avec goût en une seule page*, et sans citer la réplique qui donnait tout son sens à la scène:

"C'était bon à cause des costumes?"


*Et il ne s'agit pas de pudibonderie. Le dire serait mal connaître Alan Moore, l'auteur d'un superbe essai sur la pornographie comme moteur de la culture et de Lost Girls, une des plus belles bandes dessinées pornographiques jamais réalisées.

4 commentaires:

David in Setouchi a dit…

Merde, je suis dans l'ensemble d'accord avec toi.
Comment puis-je me faire l'avocat du diable alors...?

Comme ça: Le cinéma n'est pas subtil et ne peut pas être subtil...
A l'image deux choses sont possibles:
-une allusion discrète et subtile dans un coin et personne ne la verra sauf les über-fans qui auront vu le film 15 fois.
-un truc qui te vole à la gueule avec un gros écriteau: ceci est un indice et important pour notre histoire.

Tout simplement parce que contrairement à pour une BD ou un tableau, l'œil humain ne peut s'attarder sur une image qui dure 1/24e de seconde, sauf si on la multiplie cette image et donc on cesse d'être subtil.

Bon, il est vrai que j'exagère un peu, il est possible d'être subtil au cinéma, mais beaucoup moins qu'en BD. Le truc c'est que les contraintes du cinéma entre en jeu, un film comme Watchmen coûte cher et il faut donc attirer un maximum le spectateur lambda (dont le cerveau n'est pas toujours trop rempli (je sais pas ce qu'il se passe à Paris, mais j'ai l'impression que les salles de cinéma sont toujours remplies de débiles légers, c'était pas comme ça avant... je dois pas aller aux bonnes séances)) et cela exclue pas mal la subtilité.

Il faut avouer que Watchmen a réussi son coup là-dessus: les fans ils allaient aller le voir de toutes façons, et la promo pour attirer les autres se basait surtout sur du super héros de base...
J'aurais bien aimé connaître ce qu'on pensé du film les deux types sentant la sueur à côté de moi qui me semblaient plus habitués aux films de Van Damme qu'à Alan Moore.

Ce qui nous emmène à la scène de baston dans la prison, totalement superflue à mes yeux aussi, mais voila, Watchmen ne contient pas tant d'action que ça au final, et ça refourguer un film de super héros sans action, Hollywood ne peut pas faire malheureusement, d'où certaines concessions de ce genre.

Quant au psychologue sous-exploité, c'est malheureusement la règle des adaptations, ce genre de trucs se doit de passer à la trappe sauf de faire un film de 12 heures (et même dans Lord of the Rings, il y a pas mal de trucs qui ont du passer à la trappe).

Le Responsable a dit…

"Bon, il est vrai que j'exagère un peu"

Tu exagères beaucoup quand même... On trouve des exemples de subtilité au cinéma plus souvent qu'à son tour, et l'usage d'éléments quasi-subliminaux, qui passent sous le radar conscient mais qui restent néanmoins là, dans le film et ont un effet cumulatif sur le spectateur, ben, ca a été fait, ça participe au courant hyperréaliste, et je peux citer Goddard, Spielberg, McTiernan ou Nolan.

Après ça, c'est vrai que si tu ne regardes que des classiques pré-70, la règle américaine c'est: ce qui est dans la focale est seul significatif, more or less. Mais les choses ont changé, les fleurs ont fanné et le temps d'avant, c'était le temps d'avant. Slumdog Millionaire ou Usual Suspects fonctionnent à mort grâce à des effets de composition hyperréalistes (i.e. pleins de petits détails qui font sens sans se faire remarquer).

Quant au Seigneur des Anneaux, même si la psychologie des personnages est importante, il s'agit d'une oeuvre épique, pas psychologique (ce qu'est Watchmen, le livre).

Bref, de toutes façons, le but de la chronique n'est pas tant de descendre Snyder mais d'expliquer la citation de Gilliam et la réputation de non-adaptabilité du roman. Mon avis: c'est pas impossible, mais pour le faire, il aurait fallu un team de réal' avec Hitchcock, Welles, McTiernan et Nolan, au moins. Et des tarés comme Shane Black ou Jonathan Nolan au scriptwriting.

David in Setouchi a dit…

Disons qu'en fait je crois que c'est la thèse de base "le film est réussi mais l'adaptation ratée" qui me gêne...

Mais ça doit venir du fait que quand je regarde une film adapté, la seule question que je me pose c'est "est-ce que le film est réussi?" parce que si je commence à comparer avec l'œuvre originale, je vais forcément trouver que l'adaptation est ratée...
Par exemple, Clockwork Orange et Fight Club sont deux adaptations complètement ratées si on s'attache à certains détails formalistes (à la limite la comparaison entre l'œuvre originale peut tenir la route sur le fond, jamais sur la forme), sauf que je trouve que Fight Club le film est meilleur que Fight Club le livre.

Le Responsable a dit…

Ah oui mais non. Dans les deux cas cités (Clockwork Orange et Fight Club), la forme est modifiée mais le style de l'oeuvre, sa marque, sa thématique demeure.

Le problème de Watchmen, le livre, c'est qu'il n'y a aucune distance entre le fond et la forme. Voire même le fond, la forme et le médium. Il aurait fallu un génie absolu pour réussir à adapter le sens du livre vers un autre médium même proche.

Je rappelle encore que Watchmen c'est mon oeuvre phare à moi que j'ai, et que je kiffais comme un caniche en rut à l'idée irréaliste de voir un film aussi définitif que le livre. Je SAIS que c'est impossible, mais ca ne m'empêche pas d'en rêver la nuit.

Au fait: pour Fight Club, Chuck Palliaduk est d'accord avec toi.