lundi 9 mars 2009

DOSSIER: 5 POINTS FORTS DE WATCHMEN, LE LIVRE

Et Comment Le Film Est Passé A Côté


Vous l'avez peut-être lu sur TodayInLiège, mais Watchmen, le film, je l'attends depuis quinze ans. A l'époque, la presse annonce Terry Gilliam dans le fauteuil du réalisateur, mais ce dernier jette le gant faute d'un script crédible en annonçant humblement: "il me semble que réduire les 380 pages de bd à deux heures trente de film serait passer à côté du sujet". L'histoire d'horreur commence alors, avec moult réécritures, dont un script parfaitement risible fin des années 90, et un development hell pendant lequel le film reste coincé entre deux studios.




Tout ça pour dire qu'on a échappé à un actionner produit par Joel Arme Fatale Silver, et qu'au final, Snyder n'a pas raté son film. Mais la citation de Gilliam était prophétique: j'ai vu le réalisateur passer à côté de son sujet pendant 2h30, malgré la meilleure volonté du monde. Le film, s'il est loin d'être infâme - il se laisse voir avec plaisir - n'est malheureusement pas à la hauteur du livre.

Pourquoi? Je ne suis pas cinéaste de génie, c'est donc difficile de répondre. Mais j'ai lu et relu Watchmen en le décortiquant comme une crevette à cocktail plus de fois qu'à mon tour et là, j'ai les outils qui peuvent expliquer pourquoi la bande dessinée est un bijou.

Donc, une fois par jour, pendant cinq jours, mon avis sur Watchmen, la bédé, un point à la fois, et pourquoi j'ai la tenace impression que Snyder a raté quelque chose.


1. Alan Moore connaît son médium et s'en sert magistralement
Ce n'est pas un secret pour ses fans. A travers ses bandes dessinées, Moore explore une façon unique au médium de raconter une histoire et s'est toujours attaché à faire se confondre l'histoire, sa forme et son médium. Watchmen est à ce niveau - avec Promethea, traduit chez Pannini Comics - une de ses pièces maîtresses.


Tout ce qui compose une bande dessinée, de la structure des pages découpées en cases au fait qu'il s'agit d'images et de textes superposés, en passant par la gestion du temps et la transition d'une case à l'autre, jusqu'au papier, aux couleurs et même à la reliure, tout ça est utilisé par Moore comme un élément porteur de sens, servant l'histoire et supportant les thèmes.

Un exemple concret: deux points du récit sont particulièrement explicites à ce niveau. Pendant la discussion sur Mars, Jon explique à Laurie comment il perçoit les choses:

"le temps est simultané, un joyau à la structure complexe dont les humains s'obstinent à ne regarder qu'un côté à la fois, alors que la totalité est visible dans chaque facette."
En une seule phrase, Jon décrit comment se présente la bande dessinée, où le lecteur s'attache à lire case par case un récit fixé une fois pour toutes et dont chacune d'entre elles contient des liens avec un nombre incalculable d'autres cases.

L'autre exemple, c'est le grand final. Le cerveau de l'histoire allume un mur de télévision où chaque écran montre les événements qui secouent la planète à travers une myriade de points e vue.

Ce que Snyder a raté: pour cette scène finale, Snyder choisit de remplacer les télévisions du monde par un quadrillage uniquement composé du président américain. C'est plus qu'un détail graphique: d'une certaine façon, ça invalide la nature plurielle de l'intrigue, son attachement à la différence de points de vue, et amoindrit l'impact de l'annonce de la paix mondiale en ne donnant qu'un seul son de cloche et encore, celui du "plus fort".

En un mot comme en cent: je crois que Snyder a compris qu'il ne pouvait transposer telle quelle la structure de Moore à l'écran - il essaie d'ailleurs des techniques bien cinématographiques comme le surcadrage ou les raccords métaphoriques - mais il remplace seulement la déco de l'immeuble, pas les fondations.

5 commentaires:

David in Setouchi a dit…

Je sais pas pourquoi mais je sens qu'au cours des cinq prochains jours, je vais me faire l'avocat du diable.
Commençons donc tout de suite...

Déjà j'ai toujours eu du mal avec l'expression "insérer nom d'auteur ici connaît bien son médium. J'ai envie de dire: heureusement qu'il le connaît, c'est un des éléments qui différencie une œuvre réussie d'une œuvre ratée. Mais voila, comme tu le dis, chaque medium a ses propres spécificités, et si l'adaptation reprenait les spécificité du médium BD, ça ferait certainement un truc proche de l'inregardable (ex: Sin City, le gimmick marche 5 minutes, après c'est la nausée).
Donc tu ne peux reprocher à Snyder de ne pas respecter les spécificités du médium BD.

Pour prendre le même exemple que toi, la BD permet une multiplicité de voix narratives simultanées, au cinéma, pour que cela reste compréhensible, il faudrait mettre ces différentes voix à la suite l'une des autres (la simultanéité rendrait la scène illisible), mais cela deviendrait redondant très rapidement.
Donc ce choix de ne laisser parler uniquement Nixon même s'il peut sembler malvenu au premier abord me semble être au final le plus judicieux.
Et de manière plus générale, le fait que le choix de ne pas suivre les spécificités du médium BD sur un écran de ciné est des plus appréciable, comme mentionné plus haut, on a vu ce que ça donnait avec Sin City, il fallait que quelqu'un l'ait fait, maintenant que ça a été fait, nous savons que ça ne marche pas et qu'il vaut mieux continuer de faire des films qui ressemblent à des films...

Imagine une adaptation du roman en film qui suivrait les codes de la narration romanesque: la caméra s'éterniserait sur les objets, le lieux les personnages sans un son, sans rien pour les présenter (les décrire), nous aurions droit à des voix-offs incessantes (les pensées des personnages) et ce genre de choses.

(diantre quelle boîte de Pandore viens-je d'ouvrir? jamais je vais recevoir mes e-mails si je le lance dans de tels débats)

Le Responsable a dit…

Oui je sais, l'expression est bateau, mais là c'est loin d'être galvaudé. Watchmen ze book est un catalogue exhaustif des outils narratifs utilisables en BD et se permet d'innover sur pas mal de points au simple niveau des techniques utilisées (cf. l'utilisation de la reliure comme moyen narratif à l'échelle d'un épisode).

Moore maîtrise son médium au point de faire en sorte que tout tienne et tout soit significatif (j'en parle demain ou après) grâce à des outils multiples et variés. Avec Snyder, à part une poignée de fulgurance, je n'ai pas ressenti cette compréhension et cette utilisation exhaustive des moyens narratifs possibles au cinéma.

C'est ce que je veux dire quand j'annonce péremptoirement que Snyder a fait un bon film mais une mauvaise adaptation: mon bilan du film est globalement positif mais c'est loin d'être au cinéma ce que Watchmen pouvait être au comics.

Et puis j'aime bien affirmer des choses péremptoirement. En vrai ça passe mieux, j'ai toujours paraît-il un éclat d'humilité sincère dans le regard malgré tout.

Le Responsable a dit…

Ah oué sinon...

Pour les écrans multiples, il existe un kyrielle de techniques de mixage sonore et visuel qui permettent de rendre ça compréhensif. Ca a déjà été fait, et sûrement par les plus grands, mais le seul exemple qui sorte de mon crâne de geek c'est la scène de l'Architecte dans Matrix: Reloaded

Moore ne serait pas passé à côté d'une telle technique s'il était cinéaste et qu'elle servait son propos. Soit Snyder n'y a pas pensé (ce qui est déjà gros), soit il fait le choix artistique d'un utiliser une autre.

Et comme une technique narrative influence le message au niveau du sous-entendu, en choisissant une technique narrative non seulement différente dans son approche, mais totalement contradictoire (la voix unique de l'Autorité au lieu de la pluralité de points de vue), il altère d'une certaine façon* le sens de la scène, en le tiltant dans une direction opposée à celle du matériau d'origine.

En bref, je n'attendais pas une adaptation image par image du comics, mais au contraire un réal capable de faire au cinoche ce que Moore a fait à la bédé américaine: le retourner dans toutes les positions possibles jusqu'à en faire pleurer sa mère.

*subtile, certes, mais un pinailleur pathologique ne passe pas à côté de ce genre de trucs.

David in Setouchi a dit…

OK, je comprends mieux ton propos...
En fait, tu aurais voulu que l'on retrouve TOUT dans le film, le fond, la forme, la structure, etc...

Tu as bien conscience que c'est impossible?

Loin de moi de vouloir commencer un débat -on a pas le temps- c'est juste des commentaires. ;-)

Le Responsable a dit…

Bien sûr que j'aurais voulu un truc aussi définitif que le roman sur cello! Bien sûr que j'ai des attentes démesurées!

Watchmen, c'est mon meilleur livre du monde, ou peut s'en faut, et j'ai une faille énorme pour les films qui ont une construction narrative, disons, fractale et acrobatique (Fight Club, Memento, Slumdog Millionaire, Psycho...). J'aurais tant aimé que Watchmen, le film, en fasse partie.

Maintenant - et j'ai l'impression que je vais devoir le répéter toute la semaine* - le résultat est bon. Mais quand tu vois, je sais pas, Le Roi Lear joué par une troupe amateur, tu as un sentiment de trop peu quelle que soit la qualité de la chose.